BOÎTE À OUTILS POUR LA PLANIFICATION DE TRANSITIONS JUSTES

L’économie politique, en tant que domaine de recherche, analyse la manière dont différents intérêts matériels, institutions et normes façonnent les comportements des systèmes sociaux et économiques. L’analyse de l’économie politique contribue à obtenir une compréhension nuancée des fonctions et caractéristiques de chaque pays et sous-région, y compris les interactions entre les forces sociales, culturelles, politiques et économiques. Elle aide aussi à placer la transition dans un contexte historique, en décrivant comment et pourquoi les régions et secteurs sont ce qu’ils sont aujourd’hui. 

Une bonne compréhension de l’économie politique aide à anticiper la trajectoire probable d’une transition. Elle aide aussi à identifier ceux qui pourraient résister au changement (c’est-à-dire les parties prenantes qui bénéficient du statu quo, des normes et des institutions qui maintiennent et renforcent les modèles économiques actuels, ainsi que les incitations financières et économiques qui peuvent bloquer la situation), et d’où le soutien et/ou les ressources peuvent provenir (c’est-à-dire les groupes qui voient les bénéfices potentiels de la transition). Elle identifie aussi la répartition du pouvoir, et la manière dont celle-ci influence les résultats pour les différents groupes. 

L’analyse de l’économie politique peut servir à évaluer les risques et les opportunités, et à concevoir des activités d’engagement des parties prenantes. Elle peut aussi aider à choisir les stratégies les plus facilement applicables ou efficaces pour la promotion de la transition et la gestion de ses effets. Par exemple, elle peut mettre en avant des normes et institutions existantes, dont des structures juridiques, et leurs effets sur la possibilité de réaliser la transition ou de garantir des résultats justes aux différents groupes. 

En tant que méthode d’analyse, elle se base sur l’observation des structures (p. ex. : les incitations financières), des institutions (p. ex. : les lois, mandats, normes ou idées) et des acteurs (parties prenantes), et sur l’observation de leurs interactions et de leur influence sur les décisions. Cette analyse peut être menée au niveau macro, local ou sectoriel. Les questions posées par une analyse de l’économie politique peuvent être adaptées aux besoins spécifiques des planificateurs et décideurs. 

Certains éléments d’une analyse typique de l’économie politique peuvent faire l’objet d’une activité unique (et sont donc décrits séparément dans ce module). C’est le cas de la cartographie des parties prenantes (voir le Module 2.2.2) ou de la cartographie des politiques et institutions (voir Module 2.2.3).

La cartographie des parties prenantes (ou l’analyse des parties prenantes) est une étape utile au début du processus. Elle rassemble plusieurs points de vue sur des problèmes et des solutions. Elle peut aider à élaborer des stratégies d’engagement pour différents groupes de parties prenantes, à identifier les groupes/associations qui peuvent servir de points de contact pour un meilleur engagement de la communauté et à mener une analyse plus large de l’économie politique. 

La cartographie des parties prenantes vise à identifier les parties prenantes pertinentes (et, dans l’idéal, à anticiper comment chaque groupe pourrait être touché par une transition), à comprendre comment les parties prenantes sont reliées entre elles, et à identifier qui est le plus visible dans les discussions autour de la transition, et qui en est absent. Elle sert aussi à identifier les points de vue des différents groupes sur les questions relatives à la transition, leurs intérêts stratégiques, ainsi que les connaissances, les valeurs et l’influence qu’ils peuvent avoir et qui peuvent orienter la planification de la transition. 

Un exercice de cartographie des parties prenantes doit aller au-delà de la triade habituelle (représentants du gouvernement, des employeurs et des travailleurs), et aussi dépasser les limites sectorielles. En effet, pour atteindre une transition juste, il faut des connaissances et savoir-faire variés. Pour les travailleurs qui pourraient être touchés par la transition, une cartographie doit identifier les travailleurs informels (et parfois illégaux) qui opèrent dans un secteur et qui pourraient ne pas être représentés par les syndicats. 

Il faut porter une attention particulière aux parties prenantes marginalisées qui ne sont peut-être pas prises en compte dans les débats actuels. Même dans un même groupe, il peut exister d’importantes inégalités et des déséquilibres de pouvoir. Par exemple, un groupe d’agriculteurs ne représente peut-être pas toutes les opinions et tous les besoins de tous les agriculteurs, et les agriculteurs pensent certainement différemment des ouvriers agricoles (qui peuvent être saisonniers, non syndiqués ou migrants), des entreprises et des employés sur la chaîne de valeur, de la communauté plus large qui dépend de l’agriculture et des jeunes. 

Les approches de cartographie peuvent être plutôt simples ou très sophistiquées. Lors de la collecte des résultats, plusieurs méthodes peuvent être choisies pour représenter visuellement la carte des parties prenantes : des graphiques qui montrent des réseaux d’acteurs connectés, ou des graphiques qui placent les différents groupes en fonction de leur influence ou de leurs intérêts stratégiques, par exemple.

Pour mener à bien une transition juste, il faut que l’ensemble des politiques, soit les politiques nationales et les engagements internationaux (p. ex. : dans des contributions déterminées au niveau national), soient conformes aux objectifs de la juste transition. L’environnement institutionnel doit aussi soutenir la transition juste, et ne pas empêcher ou dissuader la mise en œuvre de stratégies clés. 

La cartographie des politiques aide à découvrir les politiques et engagements actuels et la manière dont ils soutiennent ou limitent la promotion d’une transition juste. Elle peut aussi indiquer comment les politiques existantes (ou les lacunes) peuvent avoir besoin d’être réformées pour soutenir les objectifs d’une transition juste. Cette activité peut aider à éviter le problème des plans individuels de transition (au niveau local, par exemple) qui s’orientent dans des directions différentes ou ne respectent pas d’autres politiques (nationales, par exemple). 

La cartographie des politiques doit dépasser les politiques climatiques ou d’économie verte. En effet, beaucoup de domaines (politique sociale, économique, environnementale et climatique) vont influencer les résultats de la transition. En fonction de la nature (et du secteur) de la transition, ainsi que de son contexte, la cartographie des politiques peut aussi intégrer les plans régionaux/territoriaux de développement socioéconomique, les plans de développement sectoriels, mais aussi les politiques et les règles relatives à la production agricole, à la fourniture d’énergie et aux marchés de l’énergie, au régime foncier, à l’automatisation des femmes, à la protection sociale, aux finances et à la taxation, au marché du travail et au secteur minier, entre autres. 

De même, l’évaluation des institutions et des systèmes de gouvernance peut mettre en avant l’existence, ou pas, d’institutions qui peuvent soutenir la planification et la mise en œuvre de la transition. Elle doit aussi permettre de comprendre où des conflits et des divergences peuvent survenir, et de proposer des solutions, qui peuvent exiger de faire respecter aux institutions les objectifs de la transition juste. Une fois encore, cette évaluation des institutions doit dépasser les secteurs individuels. En effet, il existe beaucoup d’obstacles à la transition juste, et de leviers qui aident au changement et soutiennent la transition, dans différentes parties du gouvernement. 

Ces activités doivent aider à encadrer la première phase d’engagement des parties prenantes (Modules 1.1 et 1.3), avec la cartographie des parties prenantes (Module 2.2.1), et aussi avec l’élaboration d’une vision et de principes de transition juste (Module 2.3).

Les inégalités de genre et les manières différentes de vivre la transition en fonction du genre sont essentielles au contexte socioéconomique, qui doit être compris afin de garantir des résultats justes et de concevoir un processus juste et inclusif. De nombreux outils utilisés pour l’analyse des questions de genre optent aussi pour une approche intersectorielle : ils reconnaissent que les identités multiples et croisées de chaque individu (son genre, son origine ou ethnicité, son âge, son handicap, ses capacités, etc.) influencent ses vulnérabilités ou avantages. 

Une analyse des questions de genre commencera par explorer comment sont répartis les risques et les opportunités de la transition. La main-d’œuvre exposée aux pertes d’emplois dans certains secteurs à forte intensité carbone, comme celui des énergies ou de l’exploitation minière, est souvent très masculine. Cependant, si les hommes perdent leur emploi, cela signifie que ce poids pourrait retomber sur les épaules des femmes. En conséquence, les femmes auront moins de temps pour s’instruire, se lancer dans les affaires ou accéder aux services de santé en cas de besoin. Parfois, la hausse des taux de chômage est synonyme d’une hausse des taux des violences fondées sur le genre. Les inégalités entre les genres peuvent aussi nuire aux capacités des femmes à s’adapter à de nouvelles conditions. Par exemple, les femmes représentent souvent une grande partie des agriculteurs et des ouvriers agricoles. Cependant, elles sont bien moins susceptibles que les hommes de posséder des terres, ce qui les rend plus vulnérables aux changements systémiques. 

Une analyse des questions de genre peut aussi identifier les possibilités de corriger certaines des inégalités existantes, fondées sur le genre ou d’autres facteurs, en mettant au point des mesures qui visent la cause de ces inégalités (voir le Module 4.2).

Il est essentiel que les analyses des questions de genre soient solides, spécifiques au contexte et intersectionnelles. Elles permettent d’identifier les types d’inégalités de genre ainsi que leurs causes, et la manière dont elles peuvent influencer les effets d’une transition. 

Les études de fond sur les inégalités de genre et les vulnérabilités doivent prendre en compte des indicateurs tels que la participation au marché du travail local et l’accès à l’éducation, aux services de santé et aux services financiers et de protection sociale (voir le Module 2.2.6). Elles doivent aussi être ventilées selon d’autres variables sociales, comme l’âge.

Les études de fond doivent être complétées par une analyse des questions de genre, spécifiquement en rapport avec la transition. Pour ce faire, il faut intégrer les questions de genre aux analyses menées lors de la préparation des stratégies de transition juste (voir le Module 3), comme les évaluations des dynamiques du marché du travail, des effets économiques et des options de diversification, des risques environnementaux et des priorités de remise en état, et d’autres effets sociaux. 

Un manque de données ventilées par genre, surtout aux niveaux local/municipal dans les territoires touchés, peut empêcher de mener une analyse approfondie des questions de genre. À l’inverse, renforcer la collecte des données et les mécanismes d’analyse afin d’obtenir plus de données ventilées permet de mieux soutenir la planification de la transition, mais aussi les activités futures de suivi et d’évaluation.

Le concept de pauvreté multidimensionnelle montre que de nombreux facteurs, au-delà des contraintes financières, façonnent la pauvreté des populations, et met en avant les différences de conditions de vie et d’accès aux ressources et services clés. Il est essentiel de comprendre les différentes origines des difficultés vécues par les communautés touchées par la transition afin de concevoir des stratégies visant à ne pas exacerber la pauvreté et ces difficultés, mais plutôt à aider à améliorer la situation. 

L’analyse de la pauvreté multidimensionnelle identifie les principaux manques dont peuvent souffrir les populations, comme la malnutrition, des logements inadaptés ou un manque de services de base (électricité ou assainissement, par exemple). Elle permet aussi de comprendre leur répartition au sein des différentes populations. Elle permet de savoir quelles sont les populations les plus vulnérables et de quelle manière, et met en avant les endroits où les populations souffrent de plusieurs manques. 

Cette analyse aide à identifier les politiques et programmes qui peuvent permettre de combler ces manques socioéconomiques et de réduire la pauvreté. Elle peut en particulier orienter l’élaboration de mesures d’aide à la transition, surtout afin que ces mesures ou programmes politiques (dont des réformes des systèmes de protection sociale) puissent cibler les groupes et les communautés qui souffrent le plus de la pauvreté (ou qui sont les plus susceptibles de souffrir de la transition). 

Pour certains pays et certaines régions, il existe parfois déjà des indices sur la pauvreté multidimensionnelle qui peuvent servir de point de départ à une analyse sur site. En fonction des données disponibles, ces indices peuvent prendre en compte les mesures traditionnelles de lutte contre la pauvreté monétaire ainsi que des données sur l’éducation, la santé, les conditions de vie, l’emploi et la sécurité, par exemple. 

Les données nationales seules ne suffisent souvent pas pour bien comprendre comment certaines communautés ou certains groupes au sein de ces communautés peuvent être touchés par les changements socioéconomiques. C’est pourquoi une analyse ventilée de la pauvreté multidimensionnelle, aux niveaux local, régional ou même du foyer, peut aider à combler ces lacunes. Cependant, il peut être difficile de trouver des données ventilées par région sur la pauvreté multidimensionnelle.

Les systèmes de protection sociale (aussi appelés filets de sécurité, services sociaux ou programmes d’aide sociale) sont des mesures qui offrent aux personnes pauvres et vulnérables une aide, qui peut être monétaire ou d’une autre nature. L’objectif est de réduire leur exposition aux risques, de les protéger des pertes de revenus ou de leur volatilité, et parfois d’améliorer leur accès au marché du travail. 

Les programmes de protection sociale sont souvent proposés par les gouvernements, mais peuvent aussi être fournis par d’autres acteurs, comme des organisations de la société civile. Parmi ces programmes, nous pouvons citer : les programmes d’aide sociale qui fournissent un certain niveau de revenu et/ou un accès à des services de base (p. ex. : transferts d’argent, pensions sociales, services de garde) ; les programmes d’assurance sociale qui fournissent un revenu dans certaines circonstances (p. ex. : programme de sécurité sociale, assurance maladie, assurance professionnelle ou assurance agricole) ; et des programmes dédiés au marché du travail qui aident à reconvertir ou former des travailleurs potentiels et/ou à faciliter l’obtention d’un emploi (p. ex. : en rapprochant les offres des demandes, en créant des emplois grâce à des programmes de travaux publics ou en assurant des lois et conditions de travail minimales). 

Préparer le profil de protection sociale d’un pays peut permettre de comprendre la couverture, l’incidence des aides sociales, l’adéquation, l’effet sur la pauvreté, et les dépenses de plusieurs programmes existants de protection sociale, et ainsi d’en identifier les lacunes. Cette activité permet aussi d’évaluer les mesures en place et de vérifier si elles prennent bien en compte les questions de genre (c’est-à-dire si elles visent les hommes et les femmes de la même manière et si elles n’augmentent pas sans le vouloir les inégalités entre les genres), et si elles bénéficient bien aux personnes pauvres. En analysant les protections déjà en place et qui sont leurs bénéficiaires, les planificateurs peuvent identifier les opportunités offertes par l’amplification ou l’amélioration (par des réformes, par exemple) des mesures actuelles. Ils peuvent aussi identifier où se trouvent les lacunes à combler afin de soutenir les groupes touchés par la transition. Cette analyse doit aider à éviter les effets néfastes des transitions qui pourraient renforcer les inégalités, ce qui peut se produire si les aides sociales soutiennent les plus riches ou les entreprises au lieu d’aider les groupes vulnérables et pauvres.